Qu’il travaille en noir et blanc ou en couleurs, Arno Brignon poursuit la même quête de la révélation par la lumière, de la recréation d’instants que seule la photographie peut capter et s’attache donc, avant tout, à restituer des ambiances. Plus exactement, il utilise la photographie comme un outil sensible qui lui permet de faire partager la relation qui s’établit, parce qu’il les vit intensément et de façon sensible, entre des ambiances, des moments, et les émotions qu’ils éveillent en lui.
C’est donc une photographie qui se construit sur l’articulation entre une volonté documentaire et la nécessité d’une subjectivité assumée, vibrante et généreuse. Il ne s’agit pas ici – et quelle que soit la qualité des images – de « bonnes » photographies mais de pousser les images, volontiers trompeuses, dans ces retranchements où elles ne peuvent plus se contenter de séduire. Elles doivent dire, vraiment. Dire à la fois qu’elles dépendent du réel duquel elles sont surgies par la volonté du photographe, un réel fort de ses propres caractéristiques, aussi différentes que les multiples aspects d’un Paris traversé en visiteur curieux à l’affut des sollicitations visuelles qui feront déclencher ou bien exploré dans ses sous-sol et qu’on ne pourrait comparer à des « souvenirs » de famille ou à la tentative de compréhension d’un espace aussi singulier que Ceuta, dans le détroit de Gibraltar.

Dans tous les cas, alors que le principe de narration n’est pas à l’œuvre comme élément premier, alors qu’il s’agit d’abord de se laisser réagir à ce à quoi l’on est confronté, la forme s’impose comme une manière d’assumer un « je » en train d’opérer la mise en forme. C’est dans une subtilité des couleurs, dans la façon de travailler les bougés, de caresser le grain, de faire vibrer les éclats de lumière animant les géométries que se dessine le point de vue. Il s’affirme par la liberté de choisir dès le début un format, une technique, de choisir le carré ou le rectangle, des variations de gris ou une palette douce, d’accorder au portrait la couleur dans la fermeté du carré comme on laisse filer dans le rectangle horizontal les pastels du quotidien chroniqué avec tendresse. Cela ne donne pas un « style » qui serait une façon de s’enfermer dans la forme pour que l’on reconnaisse un auteur, mais cela précise des intentions. D’abord, il ne s’agit pas, même si la photographie fut inventée pour « reproduire fidèlement le réel », de décrire le monde. Il s’agit de savoir comment on s’inscrit en lui, comment on se l’approprie sans avoir l’intention de le réduire à sa vision, comment on en questionne l’existence, entre inquiétude et émerveillement, et comment on propose simplement de partager ces questions avec ceux qui vont regarder des images que l’on partage.



Christian Caujolle